Dialoguer autrement au XXIème siècle
Les crises écologiques, socio-économiques, sanitaires, géo-politiques auxquels nous sommes confrontés planétairement doivent nous inciter à entrer dans un autre champ de conscience et à changer nos représentations collectives.
Un des signes précurseurs est ce besoin d’écoute et de dialogue qui transparait dans toutes les sphères de la société ainsi que dans de très nombreuses organisations et ce, sous de multiples formes.
Des questions de fond se posent relatives à nos modèles de fonctionnement dans les champs organisationnel, social, sociétal, économique, démocratique qui invitent à explorer l’émergence de nouvelles représentations collectives du futur à faire advenir. Se relier dans des processus dialogiques créatifs, en profondeur, est LA voie. C’est ce en quoi nous croyons et ce pourquoi nous oeuvrons.
L’équipe Dialogue en Intelligence Collective.
Une de nos grandes sources d’inspiration sur le dialogue est David Bohm. Il a conçu et expérimenté à partir des années 1970 un processus de dialogue en cercle, appelé dialogue bohmien. Ses recherches sur la pensée, la conscience, la créativité continuent d’inspirer beaucoup de chercheurs et de réseaux dans le monde. Son livre « On Dialogue » traduit en 2021 chez Eyrolles « Le dialogue, cheminer vers l’intelligence collective » compile ses principaux apports.
Nous contribuons au mouvement du monde par notre pensée et notre langage…Il nous faut partager ce dont nous sommes conscients et être capables de penser ensemble afin de réaliser avec intelligence tout ce qui est nécessaire. Notre conscience crée cette société et la soutient par la pensée, l’intellect, les sentiments, etc… … Je crois possible de transformer la nature de la conscience, à la fois au niveau individuel et collectif.
Notre vision du monde dépend des représentations collectives générales véhiculées par notre société et notre culture ; si nous mettions de côté ces représentations, alors un changement pourrait se produire, car le monde serait présenté différemment, car le vrai changement passe par le changement des représentations collectives.
De par leur nature participative au mouvement de l’univers, les êtres humains peuvent changer collectivement le futur.
La question de savoir s’il peut y avoir une transformation culturelle et sociale dépend du dialogue.
L’esprit du dialogue
Le dialogue au sens bohmien n’est pas un débat ni une conversation au sens classique du terme. Il ne s’agit pas non plus de partager des idées, sujets ou informations. Il s’agit plutôt de faire quelque chose en commun, c’est-à-dire de créer ensemble quelque chose de nouveau, une curiosité tranquille et sans jugement dont le but principal est d’avoir sur les choses un regard aussi nouveau et clair que possible. C’est un dialogue qu’il nomme créatif.
Personne n’essaie de l’emporter. il n’y a ni perdant ni gagnant. Chaque personne prend part au sens global du groupe et y contribue. Il y a une conscience participative.
Ce qui compte n’est plus de s’opposer ou d’interagir, mais de participer à ce champ de sens commun en perpétuel développement et changement, pour faire émerger une conscience du tout, une perception des angles morts, une vision du plus haut potentiel du futur, un discernement collectif sur ce qui faut laisser partir et laisser advenir au travers d’actions cohérentes.
Dans notre expérience, cet esprit du dialogue, vécu en cercle de dialogue, est en soi une source de reliance, d’apaisement et d’harmonie.
Je crois que lorsque nous serons en mesure de soutenir un dialogue de ce genre, nous verrons des changements parmi les participants. Ils se comporteront alors autrement, même en dehors du dialogue et un jour ou l’autre, ils s’en feront l’écho.
L’espoir de Bohm était qu’une forme de sens partagé puisse se développer, à petite et grande échelle, qui serait source d’une vie plus harmonieuse pour les personnes et la planète. Pour lui, le dialogue participe à unifier le monde.
Nous pouvons envisager que lorsque nous percevons cette très grande énergie de cohérence dans le dialogue, nous allons au-delà du fait même d’être un groupe et de résoudre des problèmes sociaux. Peut-être que cela permettra un changement nouveau pour l’individu ainsi que dans sa relation au cosmos.
Les écueils au dialogue créatif
• La pensée
Bohm s’est beaucoup intéressé à la nature et au mécanisme de notre pensée pour mieux appréhender le rôle qu’elle joue dans les problèmes de communication.
La pensée se configure à partir du passé : notre culture, notre éducation, notre famille, nos expériences conditionnent grandement nos opinions, émotions et comportements. De fait, elle fonctionne la plupart du temps en mode réflexe. L’identification à nos opinions créent un mécanisme de défense, de retrait ou de réaction dès l’instant où nous écoutons et/ou observons des différences. De manière plus ou moins consciente, sont activés des à priori, des préjugés, des stéréotypes, des schémas mentaux que nous considérons être des vérités. Nous entendons et percevons l’autre à travers le filtre de notre propre pensée.
Il est clair que si nous voulons vivre en harmonie avec nous-mêmes et la nature, nous devons pouvoir communiquer librement et dans un élan créatif sans chercher à nous accrocher en permanence à nos propres idées ni à les défendre.
Il distingue la pensée littérale mécaniste, linéaire très différente de la « pensée participative », un mode de pensée dans lequel les fines frontières sont perçues comme perméables, les objets ont une relation sous-jacente les uns avec les autres, et le mouvement du monde perceptible participe d’une essence vitale… Nous avons sur-amplifié la pensée littérale mécaniste, linéaire et nous nous sommes coupés de la pensée participative et de ce fait de notre potentiel créatif. Si nous nous ouvrions à cette pensée participative, nous ouvririons un potentiel considérable pour la poursuite du développement humain.
Cette pensée participative trouve son origine dans notre source intérieure de sagesse, de connaissance, d’intuition, de ressentis, en étant à l’écoute de notre propre sensibilité.
La plus grande partie de notre expérience est de l’ordre de l’implicite, mais nous avons appris dans notre société à ne pas lui accorder de valeur ; nous avons surtout appris à apprécier l’ordre explicite, extérieur.
Dans l’esprit de Bohm, la pensée participative vient d’une matrice relationnelle pré-existante qui relie l’homme à la Nature et au Cosmos, et constitue un potentiel émergent de possibilité à actualiser.
• L’Ego
Il faut distinguer l’Ego, qui est consubstantiel à notre incarnation singulière (le JE existentiel) et l’égo qui est l’expression de cette singularité dans la manière de s’affirmer jusqu’à vouloir dominer. Cet égo auto-centré empêche l’écoute, pierre angulaire du dialogue.
Notre besoin d’avoir raison peut entrainer une déformation de la réalité pour garder la supériorité…La discussion ressemble presque à un jeu de ping-pong, où les gens se renvoient la balle avec leurs idées, et le but du jeu est de gagner ou d’obtenir des points…Dans un dialogue, personne n’essaie de gagner. Lorsque quelqu’un gagne, tout le monde gagne. C’est un esprit différent qui l’emporte dans ce cas.
Ce qui favorise le dialogue créatif : un processus holistique
Nous vivons dans un monde fragmenté, qui se polarise de plus en plus. Notre manière d’être (posture intérieure) et notre manière d’être ensemble dans une relation dialogique (écologie de la relation) sont les véritables leviers des processus de transformation profonde. Il faut réapprendre à donner du temps au temps pour dialoguer en profondeur. Nous participons au mouvement du monde dans notre communication et nous contribuons à ce monde dans la manière de nous relier pour apporter sens et cohérence dans une vision du tout.
Les processus dialogiques profonds inspirés de David Bohm sollicitent aussi bien l’intelligence cognitive, relationnelle, émotionnelle, corporelle, créative, sensible, spirituelle, en lien avec l’environnement et la nature. Le temps de ces processus varie ainsi que le rythme des rencontres. Il faut réapprendre à donner du temps au temps pour dialoguer en profondeur, c’est-à-dire sortir de l’accélération pour entrer dans un champ de résonances, comme nous y invite Harmut Rosa (1).
Dans notre expérience d’accompagnement des transformations profondes, nous utilisons le plus fréquemment le cercle de dialogue génératif, inséré dans différentes étapes du méta-modèle Théorie U. A des moments clés, Il s’agit d’ouvrir un espace-temps autre pour accéder collectivement à un champ de résonance (en étant pleinement présent à soi, aux autres, à l’environnement) dans l’écoute du tout, d’où émergera des actions créatives.
De ces espaces-temps autre pourront naître des communautés apprenantes.
Le développement de communautés apprenantes passe par la création d’espaces dans lesquels un véritable dialogue est possible : ce sont des conversations approfondies qui conduiront à l’émergence d’idées nouvelles et d’actions que l’on pouvait penser impossibles car dépassant les « barrières « issues des normes sociales, construites dans nos propres représentations collectives. Peter Senge
L’intelligence ne se définit plus comme une faculté de résoudre un problème mais comme celle de pénétrer un monde partagé. Francisco J. Varela
(1) Harmut Rosa Résonance, une sociologie de la relation au monde – Editions La Découverte
Sur Dialogue IC :
– Pour une culture du dialogue
– Le dialogue génératif espace d’intelligence collective
– L’équipe