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Perspectives dans l’art de la facilitation

Perspectives dans l’art de la facilitation

La pratique de la facilitation en intelligence collective peut s’apparenter à un art, dans la mesure où elle repose sur une posture qui engage tout l’être. Elle relève de l’indicible, mais nous essaierons ici d’en indiquer quelques lignes de force.

 

La connexion au champ

En facilitant les groupes, nous sentons bien cette présence d’une sorte de champ énergétique, qui relie les participants et agit puissamment dans l’arrière-plan de leur jeu collectif. La posture du facilitateur accueille la vitalité de ce champ relationnel, en sachant se placer en son sein, pour inviter le plus haut potentiel de créativité du groupe.

Cette posture active le pouvoir de l’intention, par le centrage sur le groupe, le questionnement authentique, le partage de vision, l’apprendre ensemble. Elle ouvre un espace d’équivalence, par la priorité aux relations, l’écoute profonde, en présence, en résonnance collective. Elle révèle le processus de mouvement propre au collectif, par la décision partagée et le pouvoir d’agir ensemble, en coopération fluide.

Cette connexion intime avec tout ce qui vibre dans le champ énergétique est bien connu des arts martiaux, des sportifs, des acteurs, des musiciens… Il ne s’agit pas d’une technique mais d’un état de présence au monde et d’intériorité à soi, à la croisée du sens, de l’inclusion et du vouloir. Cet état se cultive par la pratique et encore la pratique, doublée d’un travail intérieur sincère et profond. Et lorsque nous avons trouvé en nous cette posture transformatrice, le voyage ne fait que commencer.

En effet, nous ne sommes qu’au début de l’émergence de ce nouvel art dans les pratiques de facilitation et de management. Sur la base de la pratique actuelle, nous pouvons tenter d’esquisser ici quelques perspectives de son développement.

 

La dimension cachée

La vie des organisations et leur processus de transformation sont fondés sur des niveaux de ressenti en grande partie inconscients. Ces dynamiques invisibles influencent fortement la réalité courante des acteurs du système. Pour libérer tout leur potentiel d’agir ensemble, ils vont devoir plonger en conscience dans ces régions sous-jacentes, au-delà du connu. Cet approfondissement créatif est bien identifié par la Théorie U et habilement pratiqué dans la facilitation des groupes en Process Work. Il passe par un certain décadrage, mobilise le pouvoir de l’imagination, utilise des canaux de perception non usuels, et appelle un rapport authentique à soi.

C’est dans cette partie immergée de l’iceberg que l’on trouve aussi bien ses propres perceptions singulières, les qualités marginalisées que l’on refuse d’accorder à l’autre, et les inspirations communes les plus engageantes. Le masque social, si soigneusement défendu, tombe alors pour révéler un soi plus profond et plus inclusif. Le pays des rêves, bien connu des créatifs, redevient accessible et s’anime des mouvements intérieurs qui vont nourrir l’intention collective et ouvrir les possibles. Les véritables sources de créativité et de transformation sont à ce niveau profond.

 

L’opportunité du conflit

Ce degré d’énergie et de vérité dans un groupe amène assez naturellement à regarder en face les tensions et conflits. Dans une culture sociale conditionnée par tant de clivages et de séparations, comment en effet ne pas rencontrer ces ombres et démons sur le chemin de l’émancipation ? La posture de facilitation aborde alors l’une de ses plus puissantes fonctions : faire que chaque conflit soit ce qu’il est d’un point de vue global : l’occasion d’un élargissement de conscience pour toutes les parties. Ici, il s’agit d’apprendre à accueillir le feu de l’affrontement conflictuel entre des identités polarisées et closes sur elles-mêmes.

 

Si l’on sait leur fournir un cadre d’inclusion des différences, les protagonistes vont pouvoir transformer utilement l’énergie puissante et dangereuse du conflit, pour accéder à un niveau de conscience supérieur. Ce processus de résolution semble faire partie du mouvement de la vie, utilisant les oppositions comme une opportunité de croissance. Il révèle alors une forme de sagesse collective qui se tient en arrière-plan des affrontements, toujours disponible lorsque les consciences sont prêtes à l’accueillir.

 

La ressource essentielle

L’art de la facilitation touche en effet à une dimension qui transcende l’égo. Un groupe qui se connecte authentiquement avec sa propre intériorité, peut parfois accéder à une intensité de présence collective, où les individualités se relient à un sens plus grand qui les guide. Cet « état de grâce » peut aussi survenir suite à une résolution temporaire de conflit, qui ouvre sur un espace de non-dualité. L’atmosphère de ces moment magiques nous questionne inévitablement sur le plan spirituel : quelle est cette présence qui peut ainsi unifier un groupe en dépit de ses multiples formes de dissension ?

Les tentatives de nommer cette « dimension du tout » sont nombreuses : Tao, Processmind, Source, Collective Flow, Unus Mundus, God’s thougths,… Quelle que soit l’approche adoptée par chacun selon sa propre sensibilité, la facilitation en intelligence collective offre la possibilité de mobiliser ce potentiel de sagesse collective, toujours présent au cœur du champ énergétique d’un groupe. Savoir faire appel à cette ressource profonde accélère tous les processus de travail collectif, qu’il s’agisse de prendre conscience de son écosystème, de résoudre des tensions, de co-construire la vision, de co-créer l’action concertée.

 

L’importance du corps

Pour vivre tous ces niveaux dans un groupe – la connexion au champ énergétique, la plongée dans l’imaginaire créatif, l’accès aux sources essentielles de renouveau – les approches corporelles tracent une « voie directe » qui se découvre de plus en plus dans l’art de la facilitation. Les traditions asiatiques ont certes beaucoup à nous apprendre dans ce domaine, mais nos philosophes européens ne l’ont pas ignoré. Il y deux siècles, Schopenhauer établissait déjà que l’accès à l’essence des choses est fermé du dehors à la seule raison, mais « qu’une route, partant du dedans, nous reste ouverte ». Il réhabilitait ainsi l’expérience singulière du « corps propre » – c’est à dire vécu de l’intérieur, senti, sentant, agissant, voulant, en un mot : vivant – pour atteindre le secret de l’être intime du monde et exprimer le mouvement fondamental du vouloir.

La pratique de la facilitation démontre effectivement comment l’écoute et l’expression des ressentis corporels ouvre les portes à l’intuition et à une compréhension plus vive de la réalité, en nous éveillant aux dimensions cachées et essentielles du vécu. Les pratiques mobilisant ce canal de perception du corps nous connecte directement avec la présence à soi, aux autres, au processus de groupe et à son écosystème. Aussi, l’accompagnement des transformations profondes dans les organisations, aura certainement besoin de faire de plus en plus appel aux puissantes ressources de l’intelligence du corps, individuellement et collectivement.

 

L’acmé de l’intelligence collective

La facilitation, lorsqu’elle sait invoquer ces différents niveaux de l’intelligence collective, peut conduire un groupe vers « une expérience irréversible de coopération». Les organisations qui veulent transformer leur paradigme de fonctionnement ont besoin de cet effet irréversible. Comment pourraient-elles attendre de leurs managers qu’ils abandonnent le mode commande-contrôle si ceux-ci n’ont pas fait l’expérience directe de la puissance d’auto-organisation et de créativité de leurs équipes ? Ce potentiel d’efficacité collective extrême est présent et disponible dans tout groupe humain.

Lorsqu’il se manifeste, même brièvement, le temps semble suspendu, les individualités se synchronisent dans un sentiment d’unité où elles se combinent sans effort, l’action commune répond à l’appel de la situation avec une justesse stupéfiante. Vivre la fluidité quasi-magique de cet état de coopération optimale, de ce flux collectif, constitue pour les membres et leur leader un point de non-retour. Cette expérience révèle l’essence même de leur être ensemble. Cela enclenche un cercle vertueux qui les invite à faire confiance dans leur pouvoir collectif, et à le cultiver en laissant tomber ce qui l’occulte.

 

Le travail intérieur

Les capacités correspondantes à ces développements dans l’art de la facilitation peuvent se cultiver dans des formations adéquates, pour autant qu’elles soient fondées sur une pratique assidue. Et au final, c’est surtout le travail sur soi, l’évolution de son propre jeu intérieur qui va permettre au facilitateur d’approfondir son art. Car il participe lui-même aux systèmes qu’il accompagne, il est en résonnance permanente avec ce qui se passe à tous les niveaux -conscients et inconscients – du groupe qu’il accompagne.

Son état intérieur communique, comme dans un jeu de miroir, avec l’état collectif. Pour ouvrir pleinement l’espace au potentiel créatif qui cherche à s’exprimer dans le groupe, il va devoir mettre de côté les rigidités, identifications et répétitions qui brouillent son propre univers intérieur. Il s’agit, pour lui et pour le groupe, d’un chemin de découverte du « nouveau » où l’on doit laisser derrière soi ce qui encombre. C’est un art qui demande une supervision constante par ses pairs, et dont le processus d’apprentissage – ou de désapprentissage – ne finit jamais.

 

A suivre…

Les besoins urgents d’évolution de nos sociétés ouvrent un espace immense d’innovation dans les organisations et réseaux de toutes sortes. Pour soutenir ces dynamiques, l’art de la facilitation a besoin de se diffuser et se développer, en finesse, en profondeur et en efficacité. Dans cette aventure passionnante, l’élargissement de conscience semble être à fois le but, le chemin, le paysage … et tout l’espace du ciel au-dessus.

Pierre Paris – Facilitateur professionnel